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Toute une vie beyrouthine dans un lycée français...
Le lycée franco-libanais Verdun est le lieu de vie depuis toujours pour Mohamed Kasrawi, vice-président de l'association des anciens élèves du lycée. Héritier d'une longue tradition familiale, il y entre en maternelle et n'en est jamais quasiment sorti, puisqu'il y a été CPE et est désormais Conseiller d'Orientation. Ecoutons-le nous raconter son lycée et son Liban.
Racontez-nous vos années-lycée
J'ai passé toute ma scolarité au lycée Verdun, établissement du réseau MLF – Mission Laïque Française et AEFE – Agence pour l'enseignement français à l'étranger, de la petite section jusqu'à la Terminale. Ma mère y est enseignante mais toute ma famille y a été élève puis salarié (depuis l'arrière-grand-père, ma grand-mère, ses deux frères, ma mère, mon frère, ...). A la maison, on parlait français et arabe : on passait d'une langue à l'autre. Selon que l'on veut exprimer tel sentiment ou telle idée, on utilise un mot d'une langue ou d'une autre, on fabrique de nouveaux verbes en prenant le radical d'une langue et en le conjuguant dans l'autre langue. Même l'arabe parlé au Liban est un mélange, de l'arabe, du français, de l'anglais, dans la même phrase, le même paragraphe. J'avais de très bons résultats scolaires jusqu'à la première, puis après moins. J'ai quand même eu mon bac avec mention. Mais j'ai toujours été délégué de classe. Il y a une particularité des lycées du Liban, c'est le fameux comité des élèves de Terminale, chargé de préparer les festivités pour la soirée de fin d'année, en organisant des évènements sociaux et des levées de fond. J'avais mis toute mon énergie dans cette préparation. Mais, en 2007, à cause de la situation de sécurité (attentats à la bombe), ce fut la seule promotion à ne faire de cérémonie officielle de remise de diplômes. Cette année aussi, en 2020, il n'y aura pas de cérémonie officielle traditionnelle : on organisera vraisemblablement la remise de diplômes en ligne. Après mon bac scientifique, j'ai fait des études de linguistique et de traduction à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. Puis je suis parti faire le tour du Liban. J'ai passé plusieurs mois à vagabonder et à connaitre les différentes villes. Grâce à cette année sabbatique, je me suis orienté vers l'éducation, alors que je voulais rejeter le tropisme familial, même si j'avais déjà donné des cours de soutien de maths à mes camarades dès la 3°. Je suis depuis 4/5 ans CPE puis responsable CIO au lycée. J'ai aussi participé à des projets éducatifs pour réfugiés (officiellement, sle Liban a un million de réfugiés) et pour personnes défavorisées (la pauvreté augmente beaucoup au Liban).
Parlez-nous de l'Association des anciens élèves
Je suis vice-président de l'Association des anciens élèves, née officiellement en 2015. Depuis 2017, on s'est investi dans la mise en route de l'infrastructure de l'association : règlement intérieur, compte bancaire, logiciels de fonctionnement, convention de partenariat avec le lycée. Nous avons organisé deux évènements sociaux pour les anciens élèves. Ça a été deux belles réussites. Puis, on s'est attaqué à la construction de la base de données, dans le cadre de la préparation du FOMA qui devait se dérouler au Liban, mais qui s'est finalement tenu à Tunis pour des raisons de sécurité. Cela a été une aventure formidable.
" Puis on s'est attaqué à la construction de la base de données [...] On a monté une commission de call-center au lycée, avec un responsable-stagiaires, assisté par de nombreux jeunes bénévoles. Ils ont fait un super travail en contactant les personnes une par une [...] On a ainsi récupéré 75% des élèves passés par le lycée"
On a monté une commission de call-center au lycée, avec un responsable-stagiaire, étudiant en management avec une convention de stage, assisté par de nombreux jeunes bénévoles. Ils ont fait un super travail en contactant les personnes une par une. Sur les téléphones fixes, ils tombaient sur les mères ou les pères qui s'exclamaient : « Ouh la la, tu me fais remonter il y a vingt ans ». Les jeunes, un peu trop directs au début, ont appris à dialoguer en maniant l'émotionnel et l'informatif. Cela a eu aussi un bénéfice intergénérationnel. Les parents ont donné les mails, les mobiles, les réseaux sociaux de leurs enfants, souvent aux quatre coins du monde de la diaspora. On a ainsi récupéré 75 % des élèves passés par le lycée, avec leurs coordonnées et leurs parcours académiques et professionnels. Des anciens aujourd'hui dans tous les pays, dans tous les domaines. Nous sommes prêts à partager ce savoir-faire avec toutes les autres associations, à échanger les bonnes pratiques. On a fait aussi des mini-vidéos pour clarifier les objectifs de notre association : organiser des manifestations sociales et culturelles, faire preuve de solidarité entre anciens élèves, faire preuve de solidarité autour du lycée et répandre une citoyenneté laïque.
Car au Liban, se pose de plus en plus la question de la laïcité. Il y a 40 % de la jeunesse qui est scolarisée dans des établissements scolaires publics, contre 60 % dans le privé, surtout religieux (catholique, musulman, …). Moi, j'ai grandi dans un établissement laïque, avec des camarades de différentes confessions, j'ai vécu 15 ans de ma vie dans cette atmosphère, à l'intérieur des murs du lycée. Et lorsque que tu vas à la fac, tu découvres que le Liban, n'est pas cela. C'est un énorme choc culturel. Tous les anciens des lycées français du Liban passent par ce choc, indépendamment des générations lors de leur passage de leur vie au lycée à leur vie d'étudiant. C'est pourquoi notre association, une ONG dans le contexte libanais, se positionne là-dessus. Nous avons prévu par exemple de faire des débats entre anciens élèves sur ce sujet. Les bacheliers qui reviennent nous voir après leur premier semestre ou première année à la fac évoquent régulièrement ce sujet quand ils nous rendent visite. Il y a une véritable demande dans ce sens : « Qu'est-ce que je peux faire pour faire face à cela ? Comment je peux garder mon esprit critique ? … »
Comment s'est passé la crise sanitaire du coronavirus au Liban ?
Les établissements scolaires ont fermé le 29 février, bien avant la France. Le 10 mars, il y a eu le confinement appelé ici « mobilisation générale » avec interdiction de sorties, fermeture des entreprises et des universités … Jusqu'à fin mars, les gens ont eu très peur car il n'y a pas d'infrastructures publiques de soin et ont respecté le confinement. Les personnes âgées sont restées chez elles, les familles libanaises vivant souvent à plusieurs générations ensemble. Finalement, comme il n'y a eu « que » 1 000 cas et 30 morts, de moins en moins de personnes respectent les règles. La crise économique visible depuis octobre 2019 s'est doublée durant le confinement par une crise financière : une dévaluation brutale de la livre libanaise qui a perdu presque deux fois sa valeur (avant 1500 livres équivalaient à un dollar, maintenant on change plus de 4 200 livres pour un dollar). Les prix ont augmenté, les gens n'ont plus de revenus, ni d'aides sociales pour compenser l'inflation et la faim a pris le dessus. Fin avril, les manifestations ont repris. Le déconfinement se fait un peu dans le désordre et la confusion.
Pour nos établissements, les cours ont continué en ligne, avec des plateformes déjà utilisées par les différents acteurs de l'institution scolaire comme Pronote ou de nouvelles comme la Google Suite for Education. L'emploi du temps a été adapté, semaine par semaine, en se concentrant sur les notions essentielles et les examens. J'ai piloté l'équipe de soutien technique, pour la formation des enseignants, des personnels, des élèves et des parents. Ce fut très enrichissant, nous ouvrant des perspectives de mix virtuel/présentiel pour le futur fonctionnement de l'école. Mais, aujourd'hui, de nombreuses questions demeurent sans réponse : les lycées français au Liban reprendront en même temps que les lycées français en juin ? Que les lycées libanais, c'est-à-dire à la rentrée ? Avec quelle organisation : 15 élèves par classe ? Et il y a aussi une vraie problématique au niveau de la situation financière de l'établissement, qui reste un établissement privé dépendant des frais de scolarité dans un pays en pleine crise économique et financière.
Paris, le 9 juin - Interview réalisée par Effy Tselikas, journaliste, membre de l'Union-ALFM.
Lire aussi : Une Libanaise à Florence, témoignage d'Imane Bitar, du Collège protestant de Beyrouth
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