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Hajar Azell, romancière de l'entre-deux
As-tu toujours voulu devenir écrivain ?
J'ai passé un bac S au Lycée Descartes de Rabat et je suis plutôt de formation scientifique. Grâce à cette formation d'excellence, je suis rentrée à HEC après deux années de classe préparatoire. Mais depuis toute petite, j'ai toujours aimé lire et écrire, j'ai été influencée par des auteurs comme Choukri, Houellebecq, Céline, Daoud car ils ont en commun un rapport transgressif à la littérature. C'est pourquoi j'ai voulu faire en parallèle un master de philosophie.
En 2011/2013, au moment de ce que l'on a appelé les printemps arabes, j'étais en France depuis plusieurs mois et me sentais éloignée de ma culture d'origine. Pourtant, je me suis sentie appartenir à cette jeunesse bouillonnante qui est sortie dans les rues du Caire, de Rabat ou de Tunis. Je n'avais pas envie de choisir entre mes appartenances multiples et je ressentais le besoin de les enrichir. J'ai donc suivi mes envies et la devise d'HEC « apprendre à oser » et j'ai créé onorient.com, un web magazine dans lequel j'ai publié de nombreux articles. Ce média célèbre les artistes et les cultures émergentes d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L'idée est de faire connaître cette jeunesse peu représentée et peu écoutée alors qu'elle constitue une part très importante de la population.
Quel a été ton déclic pour écrire ?
En 2015/2016 j'ai entrepris un voyage itinérant de six mois qui m'a bouleversée. Nous étions trois (deux journalistes et un photographe) et nous sommes partis du Maroc pour arriver en Jordanie. En arabe c'est ce qu'on appelle le Rihla : un voyage initiatique et existentiel. Ce périple nous a permis d'aller à la rencontre de 130 artistes et de réaliser des interviews et un documentaire autour de la question « que signifie pour vous être arabe ». Nous avons pu visiter des lieux de la culture alternative et travailler sur des thèmes identitaires. J'ai alors réalisé que je connaissais mieux la France que l'Algérie et me suis demandée comment créer des liens, rendre ces cultures accessibles et favoriser les échanges sud/sud.
Le seul moyen que j'ai trouvé pour mettre des mots sur cette aventure initiatique a été un premier roman que je n'ai jamais envoyé à des maisons d'édition. Je voulais écrire sur « l'entre-deux » : ce moment où l'on est entre deux pays, entre deux avions, moment évanescent où l'on se trouve comme dans un sas. Techniquement, ce premier roman n'était pas parfait mais depuis, l'écriture fictionnelle ne m'a jamais quittée. C'est une façon pour moi de coudre ensemble les mondes que je traverse.
Une rencontre t'a particulièrement inspirée, celle avec l'écrivain Miguel Bonnefoy. Peux-tu nous en dire quelques mots ?
J'ai rencontré Miguel Bonnefoy en 2010 au quai d'Orsay lors d'une cérémonie en l'honneur des Boursiers Excellence-Major1. Miguel Bonnefoy est un écrivain venezuelo-chilien, ancien élève des lycées de Caracas et de Lisbonne2. Je n'ai pas osé lui parler à ce moment-là, mais sa façon de raconter son expérience au sein des lycées français, de façon imagée et très nuancée m'a beaucoup influencée. Je l'ai recontacté ensuite quand j'ai été finaliste d'un concours de nouvelles et il m'a apporté de nombreux conseils. En tant qu'écrivains latino et arabe, vivant en France et écrivant dans une langue qui n'est pas notre seule langue maternelle, nous partageons des sujets communs, un même vécu de l'entre-deux.
De quoi parle ton premier roman « L'envers de l'été » ?
Ce livre est un mélange de rencontres, de personnes que je connais et bien sûr, un peu de moi. J'ai grandi au Maroc et je suis arrivée en France à 18 ans. Mon héroïne, May, est une sorte de moi qui aurait grandi en France et qui reviendrait vivre quelques mois au Maroc au moment du décès de sa grand-mère Gaïa. L'écriture romancée permet de se projeter, de s'imaginer dans une situation différente de celle que l'on a vécu. Elle, comme moi, a envie de revenir sur un territoire qui l'a marqué.
C'est aussi un roman sur le passage à l'âge adulte et la fin des mythes de l'enfance : l'été, la famille, la terre. En revenant à Tephles, le village fictif que j'ai inventé, mon personnage, May, découvre une terre, un pays qu'elle ne connaissait que pour y avoir vécu durant l'été et les vacances. Je raconte dans ce roman les regards croisés de personnes qui ne connaissent le pays que l'été (fantasmes) et le regard de gens qui y vivent. J'ai quitté cet endroit, je suis entre les deux, je le vois avec deux regards.
Je ne voulais pas situer mon récit dans un endroit connu car je souhaitais que le lecteur puisse y mettre ses propres souvenirs. C'est pourquoi j'ai créé un territoire doublement allégorique qui s'appelle Tephles (enfant en arabe). Le récit se déroule donc dans ce lieu imaginaire, quelque part dans le pourtour méditerranéen, sur une terre avec des liens d'émigration avec la France.
As-tu d'autres projets littéraires ?
Je continue à écrire mais pour l'instant je n'ai pas encore de production aboutie. J'ai un projet de création d'une revue papier en darija, l'arabe maghrébin. Les sujets liés au voyage et aux territoires me fascinent particulièrement. J'aimerais aussi explorer le thème de la fuite. Je construis des personnages qui ressentent le besoin de s'exiler volontairement, parfois de manière compulsive. Cela m'intéresse de creuser pour comprendre ce que cela révèle sur la difficulté à s'attacher, à s'ancrer. J'ai aussi des idées liées au Maroc, un pays qui grouille d'histoires... J'ai une sorte de schizophrénie, le regard de quelqu'un qui part et qui revient. Mon idéal est de parvenir à être entre deux. Je suis comme une déracinée heureuse, entre deux voyages, deux cultures, qui aime la beauté du voyage et arriver quelque part.
1 Dispositif qui permet à des élèves étrangers de bénéficier d'une Bourse Excellence-Major. Hajar Azell a été Boursière Excellence-Major, promotion 2010.
2 Finaliste du prix Goncourt du premier roman en 2015 avec Le Voyage d'Octavio ; il publie en 2020, Héritage, aux éditions Rivages qui a récemment reçu le Prix des Libraires 2021
L'Envers de l'été, son premier roman, raconte le rapport à la terre originelle. Tout commence dans la grande maison familiale au bord de la Méditerranée où Gaïa vient de mourir. May, sa petite-fille, qui a grandi en France, éprouve le besoin de passer quelques mois dans la maison avant sa mise en vente, en dehors de la belle saison. Elle y découvre, en même temps que la réalité d'un pays qu'elle croyait familier, le passé des femmes de sa lignée. En particulier celui de Nina, la fille adoptive de Gaïa, tenue écartée de l'héritage. Le paradis de son enfance se révèle rempli de blessures gardées secrètes.
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