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Portrait du mois : Lucien Letayf, Président de l'association des anciens élèves du Grand Lycée de Beyrouth
Le 4 Août 2020, un entrepôt contenant 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium explosait dans le port de Beyrouth, occasionnant de nombreuses destructions matérielles et provocant la mort de 200 personnes et faisant 6 500 blessés. Alors que vient d'être lancé par l'Union-ALFM, en association avec la Mission laïque française, Solidarité Laïque, l'AEFE, l'AFLEC un appel à solidarité pour soutenir le retour à l'école publique de 20 000 élèves à Beyrouth, nous avons interviewé M. Lucien Jr Letayf, Président de l'association des anciens élèves du Grand Lycée de Beyrouth, résidant actuellement dans la capitale libanaise.
Ancien élève du Grand Lycée Franco-Libanais de Beyrouth (GLB) Lucien Jr Letayf y a suivi toute sa scolarité. Bachelier en 1988, il a ensuite poursuivi ses études à la Sorbonne puis à l'ESA Business School et se spécialise dans le domaine des Assurances à l'Université Saint Joseph de Beyrouth (USJ). Un peu plus tard, il intègre une formation spécialisée à destination des dirigeants d'entreprises (General Management Program) à la Harvard Business School. Il occupe actuellement le poste de Delegated Board Member au sein du groupe UFA Assurances.
Très investi dans la vie économique locale en tant que Président du « Cercle des Dirigeants » de l'ESA Business School et Président de l'Association des anciens élèves du GLB (AGL) depuis 2018, Lucien Jr Letayf a accepté de partager avec nous sa vision du Liban, qui traverse actuellement une crise politique, socio-économique et sanitaire complexe et de nous parler de la francophonie ainsi que du rôle que peut jouer une association d'anciens élèves.
Un mois et demi après l'explosion dans le port de Beyrouth, pouvez-vous nous donner votre ressenti sur la situation au Liban actuellement ?
Le Liban est actuellement un pays en faillite. La livre libanaise ne cesse d'être dévaluée et le pays connait actuellement une inflation galopante. Il y a également une pénurie de dollars, devise très utilisée au Liban et utilisée notamment pour payer l'écolage (frais de scolarité) au GLB. La crise économique a malheureusement été accentuée par l'explosion survenue au port de Beyrouth et la crise sanitaire liée au Covid-19. L'activité des entreprises est à l'arrêt faute de projets, et de nombreux licenciements ont eu lieu faisant grimper le taux de chômage à 60%. Actuellement, 55% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et la classe moyenne a quasiment disparue.
L'aide internationale (notamment l'aide du FMI) est conditionnée à la mise en œuvre d'un certain nombre de réformes et de restructurations. Le pays étant malheureusement gangréné par des problèmes de clientélisme, les réformes nécessaires peinent à être mises en œuvre. Faute de gouvernement, la situation est très floue et nous avons peu de visibilité sur la suite des évènements. Nous attendons actuellement la constitution d'un autre gouvernement. Mais pendant ce temps en attendant, beaucoup d'élèves ont quitté le Liban pour aller poursuivre leur scolarité en France. Il s'agit d'une véritable fuite du capital humain, or ce sont les hommes qui constituent la richesse du pays. Le Liban n'est pas un pays exportateur de marchandises, mais un pays spécialisé dans les services financiers et qui a besoin de son capital humain.
" Beaucoup d'élèves ont quitté le Liban pour aller poursuivre leur scolarité en France. Il s'agit d'une véritable fuite du capital humain, or ce sont les hommes qui constituent la richesse du pays. "
A cela s'ajoute une situation sanitaire dégradée à cause du Covid-19 (environ 500 nouveaux cas chaque jour). Le domaine de la santé, déjà durement affecté par la crise économique (manque de pièces de rechange pour le matériel médical, pénurie de médicaments) a été impacté par la destruction de nombreux hôpitaux et l'augmentation du nombre de cas de malades. Pour que les choses évoluent positivement il faudrait que la confiance revienne et que cela s'accompagne de réformes structurelles. Avec de la confiance, la reprise est possible. Mais ce n'est pas le cas actuellement et je suis très assez pessimiste sur l'évolution de la situation actuelle.
Pouvez-vous nous décrire les effets de cette crise, et de l'explosion du 4 août, sur le lycée, les familles et les élèves du Grand Lycée de Beyrouth notamment ?
Fort heureusement, les lycéens étant en vacances scolaires pendant l'explosion, il n'y a pas eu de décès parmi les élèves. Cependant, cette crise a eu plusieurs conséquences sur le GLB.
D'une part, les locaux ont été partiellement détruits par l'explosion du 4 Août et le montant des travaux est estimé à 2 millions de dollars. Les travaux sont en cours et le lycée espère rouvrir ses locaux à la fin du mois de septembre. Pour le moment, la rentrée est prévue à distance à partir du mercredi 16 septembre. D'autre part, certains élèves, sur les 3 480 inscrits en 2019, pourraient ne pas se réinscrire, de nombreuses familles connaissant des difficultés financières importantes. En effet, les frais de scolarité au GLB se montent en moyenne à 10 000 000 de livres libanaises par an et par enfants, une somme désormais trop importante pour les familles impactées par la crise économique et sanitaire.
Compte tenu des incertitudes pesant sur la rentrée ainsi que de la dégradation de la situation économique, les parents qui le peuvent encore préfèrent quitter le Liban et envoyer leurs enfants à l'étranger.
Pouvez-vous me parler de votre investissement au sein de l'Association du Grand Lycée (AGL) ?
J'ai suivi l'ensemble de ma scolarité au GLB et c'est un lycée dont la valeur n'est plus à prouver. Je suis fier d'y avoir fait ma scolarité et fier de pouvoir aider à faire perdurer et grandir sa réputation.
L'Association des Anciens du Grand Lycée Franco-Libanais (AGL) est la continuité de l'ancienne association RAALY qui fut réactivée en 2018 et j'en suis actuellement le Président. Nous avons mené des actions qui ont portées leurs fruits, notamment la mise en place d'un site web (www.anciensglfl.org) et la constitution d'une base de données des anciens élèves. Nous avons également organisé une grande soirée de retrouvailles le 24 juin 2019 qui a réuni plus de 1 000 élèves et anciens élèves.
Parmi les rôles que peuvent jouer les associations d'anciens élèves, il a cette question de la préservation de la francophonie et de ses valeurs : humanité, tolérance, fraternité.... Or le meilleur vecteur de la francophonie, c'est la qualité de l'enseignement dispensé dans les lycées français et notamment au GLB. L'objectif d'une association d'anciens élèves est aussi, je crois, de renforcer le lycée, de veiller à ce que le niveau scolaire reste élevé. Il faut donner confiance aux lycéens pour ne pas qu'ils partent. Malheureusement, suite à la crise actuelle, les bons lycéens sont en train de s'enfuir à l'étranger.
Est-ce que des actions de solidarité ont été mises en place par l'AGL afin de venir en aide aux personnes sinistrées ?
Notre association met en place, en collaboration avec le chef d'établissement M. Brice Lethier, des actions qui s'inscrivent dans le temps pour aider les élèves scolarisés et éviter ainsi qu'ils ne quittent le lycée. Nous sommes en relation avec certaines ONG, avec le consulat et nous essayons d'approvisionner la caisse de solidarité du lycée. Une des actions dont je suis fier est une levée de fond que nous avons mis en place afin de permettre à une de nos élèves de pouvoir faire des études de médecine à l'étranger.
Le problème actuellement est que le pouvoir d'achat de la population libanaise s'est très fortement dégradé et qu'actuellement sur place, peu de gens ont les moyens d'aider. Nous comptons donc sur la diaspora qui peut être très active dans ce type de situation et qui sait faire preuve de patriotisme. Nous avons une réunion la semaine prochaine afin de déterminer les actions à venir.
" Une des actions dont je suis fier est une levée de fond que nous avons mis en place afin de permettre à une de nos élèves de pouvoir faire des études de médecine à l'étranger. "
Nous allons certainement nous associer à l'opération « Urgence Beyrouth : des cartables pour les élèves des écoles publiques » une opération mise en place par le collectif Solidarité Laïque, la Mission laïque française (MLF), l'AEFE, l'AFLEC et l'Union-ALFM. Il s'agit d'une collecte de fonds réalisée en Europe qui permettra de financer l'achat de fournitures scolaires pour les écoles publiques libanaises. Notre association pourra ainsi aider à composer les cartables, sur place, avec les fournitures scolaires et kits d'hygiène financés par les dons des anciens élèves du monde et des donateurs.
Ancien du Grand Lycée, Il est temps que cet attribut que nous portons comme une part de notre identité, se charge d'un nouveau sens.
Un sens synonyme de dynamisme, d'entraide, de solidarité, de réalisations… Tous ensemble, nous avons tant à offrir, qu'il serait pur gâchis de ne pas profiter des forces individuelles et collectives que nous pouvons générer. AGL, trois lettres qui veulent dire Anciens du Grand Lycée, trois lettres qui se veulent rassembleuses, fédératrices, porteuses d'initiatives et de projets.
Interview réalisée par Emmanuelle Failler, membre et rédactrice de l'Union-ALFM, le 16/09/2020.
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