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Regards croisés sur le Vietnam

05 août 2020 Info réseau mondial
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Ngoc, ancienne élève 

Je m'appelle Ngoc et je suis une ancienne élève du Lycée français Alexandre Yersin de Hanoï. J'y ai été scolarisée de mes trois à mes quinze ans puis je suis partie en internat dans le Connecticut, aux États-Unis. J'ai donc étudié un programme français, obtenu un diplôme américain et réalisé mes études supérieures à Washington DC. Après ma licence 3, j'ai voulu m'installer en France bien que je n'y avais jamais vécu auparavant. J'y ai poursuivi un Master 2 en management. Aujourd'hui, je travaille pour une start-up française, à Paris, le jour, et poursuis mon rêve de devenir écrivaine (ironiquement en anglais) la nuit. 

Camille, ancienne élève

Je m'appelle Camille, je suis née en Normandie. Quand j'avais 8 ans, mes parents sont partis au Vietnam pour y travailler.
Nous y sommes restés 4 ans, j'ai alors fait ma scolarité au Lycée français Alexandre Yersin de Hanoï, puis nous avons déménagé au Cambodge pendant 4 ans où j'ai poursuivi au Lycée français René Descartes de Phnom Penh. Après nous sommes rentrés en France où j'ai effectué des études de cinéma. Je suis devenue archiviste audiovisuelle pour le Collège international de Philosophie, en partenariat avec l'INA.  

Je m'appelle Matthieu, je suis né en France de deux parents vietnamiens. Alors que j'étais petit, mon père a été embauché par une société française au Vietnam. Je suis donc parti à Ho Chi Minh, et y ai fait toute ma scolarité (Lycée Français International Marguerite Duras). Après le bac, j'ai intégré une classe préparatoire d'ingénieur avant de changer de filière. Je me suis ensuite lancé dans le design industriel à Strate et spécialisé dans le transport. C'est une filière qui me passionne depuis toujours. J'ai eu la chance d'effectuer un échange d'un semestre aux Etats-Unis, puis j'ai terminé mon cursus en France. Aujourd'hui, j'ai fini ma 5ème année et pars en stage en Autriche au mois de Septembre.  

Comment gardez-vous contact avec les anciens élèves du Vietnam ?

Ngoc : je reste surtout en contact avec mes amis (et certains professeurs) du LFAY via Facebook. Nous ne nous parlons pas tous les jours mais il est très utile d'avoir un aperçu rapide des événements importants de la vie de chacun. Par exemple, je suis en train d'écrire un livre intitulé Weird Culture Kids, un mémoire sur les expériences qui m'ont fait grandir, entre différentes cultures (vietnamienne et française d'abord, puis la culture américaine ensuite), sans savoir exactement à quel bord j'appartiens. Sans surprise, le plus grand soutien que j'ai reçu a été sur Facebook, de la part des personnes qui ont fréquenté le lycée français avec moi au début des années 2000.  

Camille : j'ai essentiellement réussi à retrouver des anciens élèves via Facebook. J'utilise aussi LinkedIn pour créer quelques connexions. Sinon, de manière exceptionnelle, il m'est arrivé d'aller à un événement organisé par un de nos anciens profs du Lycée Descartes à Paris, c'était une bonne expérience où j'ai recroisé quelques anciens. 

Matthieu Tran : je retourne une fois par an au Vietnam, j'y ai donc gardé de nombreux contacts avec mes anciens camarades de classe.

Avez-vous déjà ressenti du racisme en France ?

Ngoc : j'ai connu le racisme en France et je pense que c'est tout à fait inévitable parce que j'appartiens à une minorité ethnique ici. J'ai vécu des moments où les gens ont été ouvertement racistes et presque fiers de l'être et, d'autres cas, où ils n'étaient tout simplement pas assez éduqués pour reconnaître que leur comportement était, en effet, raciste. 

Je pense avoir vécu assez de ces moments pour pouvoir faire la différence entre ceux qui sont mal intentionnés (à Paris, où une femme âgée m'a dit de "retourner dans mon pays") et ceux où les gens essaient juste de faire la conversation (à Calais, où un homme était convaincu que je ressemblais à son voisin parce son nom de famille était aussi Nguyen). 

Il m'arrive également de me remettre en question parce que je sais qu'après avoir vécu pendant près d'une décennie aux États-Unis et dans un monde très protégé, régi par le "politiquement correct", je suis extrêmement sensible aux comportements racistes dans le monde qui m'entoure (commentaires, remarques, parfois même regards). Mais en fin de compte, j'ai une règle d'or qui consiste à me demander si ce qui vient de m'arriver était raciste. 99% du temps, ça l'est.

Camille : cela ne me visait pas directement. Comme j'ai vécu en Asie, j'ai maintenant horreur d'entendre des remarques de type "les asiatiques sont tous chinois". Un Vietnamien n'est pas un Cambodgien, ni un Chinois. Chaque culture est différente et quand on me répond "ouais enfin c'est pareil, ils sont chinois" je trouve ça méprisant et stéréotypé. 

Matthieu : personnellement, je n'ai jamais eu aucun problème, à part peut-être quelques insultes racistes dans la rue le soir, de la part de personnes ivres. J'ai  tout de même des amis qui ont vécu des situations teintées de racisme. Je pense notamment à une jeune chinoise de mon école qui s'est faite insulter au moment de l'arrivée du Covid-19. On ne l'a pas laissé entrer dans le tram car elle était asiatique par exemple...

La lutte contre le racisme est aujourd'hui un point central de l'actualité. Quel est votre avis sur le contexte actuel ?

Ngoc : je compare ma vie aux États-Unis à celle que j'ai en France depuis quelques années maintenant et je crois que la lutte contre le racisme aux États-Unis y est plus avancée. Du moins, les outils dont je disposais l'étaient et cela est, selon moi, intrinsèquement ancré dans les différences culturelles des deux pays. Lorsque j'étais aux États-Unis, j'avais des statistiques, des différents types de recherches et d'études pour étayer mon affirmation selon laquelle les asiatiques étaient, par exemple, sous-représentés dans les fonctions haut placées. Cependant, ces types d'études et de statistiques ne sont, à ma connaissance, pas effectuées en France car elles sont jugées illégales. L'inégalité et le racisme persistent donc, plus forts que jamais, parce que les gens ne sont soi-disant pas capables de démontrer le contraire.

J'ai appris - dans le regard d'horreur que les Français me lancent souvent quand je parle de la notion de "race" -  à ne plus parler de race.

On m'a dit, à de nombreuses reprises, que nous sommes tous de la race humaine. Certains diraient même que je suis, en fait, celle qui est raciste pour avoir parlé de race comme je le fais (comme on me l'a appris en Amérique). 

Je pense qu'en France, les gens aiment à penser que tous les Français sont égaux, quelle que soit la couleur de leur peau, et que l'élément qui les unit et garantit leur égalité est leur identité française. Je pense que c'est une belle pensée, bien que naïve, parce qu'elle ignore les expériences tout aussi françaises de ceux qui sont de la minorité (en termes de couleur de peau) et qui ont constamment plus de risques d'être discriminés. Je veux parler de la race, de l'ethnicité et de la couleur de la peau. Je pense que les conversations sur nos différences - plutôt que sur nos similitudes - sont bien plus importantes dans notre lutte contre le racisme. 

Camille : je me sens concernée par les mobilisations antiracistes car l'idée qu'on puisse tuer ou maltraiter des hommes et des femmes pour leur couleur de peau me choque profondément. Je ne comprends pas l'existence du racisme. Pour moi, la question de la "race" n'a pas à se poser. Un Européen n'a pas plus de valeur qu'un Africain parce qu'il a une couleur de peau différente. 

Matthieu : je pense que le contexte de crise sanitaire a engendré une révolte et une opportunité de faire ressortir ce sujet. Personnellement lorsque j'étais aux Etats Unis, à Détroit, j'entendais de la part de la communauté afro-américaine beaucoup de peurs. Ils m'ont confié ce sentiment d'appréhension avec la possibilité d'être contrôlé à n'importe quel moment. En France, je m'en suis aperçu avec des amis maghrébins : peu importe leur look, ils se font systématiquement contrôler. Je trouve ça triste que le racisme existe encore en 2020. En 2018, il y a également eu un mouvement antiraciste à l'égard de la communauté asiatique à Paris car un chinois s'était fait agressé et tué par un groupe de jeunes. J'ai trouvé ça bien que des jeunes, et notamment asiatiques, se mobilisent sur cette question. Le racisme a toujours existé. Aux Etats Unis, c'est compliqué car les gens sont armés. Je pense qu'il faut aussi se mettre dans la peau des policiers. Il faut garder en mémoire que des policiers se font aussi tirer dessus mais qu'on en parle peu ou pas. Selon moi, leur formation devrait être revue et rallongée car elle y est très courte, ce qui engendre des difficultés à gérer la pression de leur quotidien. Il serait aussi bénéfique d'éduquer les enfants dès le plus jeune âge aux questions de racisme. Je reste toutefois convaincu que le racisme ne disparaîtra pas tant qu'on n'aura pas réglé les problèmes de pauvreté dans les quartiers.

La France et le Vietnam partagent une histoire commune. Comment décririez-vous le rapport entre les deux pays aujourd'hui ?

Ngoc :Tout d'abord, je trouve que la façon dont cette question est formulée est amusante parce qu'elle donne presque l'impression que l'histoire commune partagée par la France et le Vietnam est une histoire pacifique, alors qu'en réalité, il s'agit d'une relation entre des colonisateurs et des colonisés, des envahisseurs et des envahis, des soi-disant civilisés et des soi-disant sauvages ! Je pense que les relations entre les deux pays sont aujourd'hui très positives et, à la surprise de beaucoup, les deux parties ont depuis longtemps dépassé la relation désastreuse qu'elles avaient autrefois. Globalement, je pense que les Vietnamiens ont une image très positive de la France. Quand je parle à mes amis qui vivent au Vietnam et qui ne connaissent pas la France, ils pensent tous que je vis dans un château près de la tour Eiffel, à Paris, parce que tout ce qu'ils voient c'est la splendeur de la France dans les médias, que ce soit à la télévision ou dans les magazines de mode.  

Camille : je pense que la France a encore du mal à assumer la défaite de Diên Biên Phu. En 2014, c'était le 60e anniversaire de la victoire "historique" vietnamienne sur les troupes coloniales françaises et le Président de l'époque (François Hollande) ne s'est pas déplacé au Vietnam pour la célébration. Il a envoyé un émissaire ce qui symboliquement est assez dommage. Il faut, il me semble, regarder son histoire en face. Cela peut passer par les Musées, mais aussi par le Politique. Quand je discute avec des vietnamiens de mon âge, on ne parle pas forcément de l'histoire de la colonisation. Je dirais que les rapports entre Français et Vietnamiens sont bons et tournés vers l'avenir.

Matthieu : les relations se sont beaucoup améliorées. Il y a des activités qui s'ouvrent entre les deux pays. Par exemple, le Vietnam a envoyé un stock de masques à la France durant le confinement. D'un point de vue culturel, la France ouvre des instituts au Vietnam pour valoriser la francophonie. Au niveau des échanges économiques, je trouve que le business marche bien. Il n'y a plus vraiment de haine liée à la colonisation, les vietnamiens ont pardonné, sans pour autant oublier.

 

Interview réalisée par Marine Durand et Olivier Lahady.




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