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Les implications d'une crise mondiale inédite

09 avril 2020 Actualité
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Auteur(s): Yohann Aucante | Publié le : 9 avril 2020 dans Les carnets de l'EHESS

L'Histoire dira quelle ampleur l'épidémie de coronavirus qui sévit aura eue au regard d'autres événements du même ordre, en particulier du point de vue de la surmortalité. Ce qui est certain c'est qu'en l'espace de moins de trois mois, les politiques de confinement des populations qu'elle a suscitées comme une traînée de poudre à l'échelle mondiale sont sur le point de provoquer une crise dont les conséquences économiques et politiques paraissent abyssales. L'arrêt presque complet des circuits de l'économie mondialisée est un phénomène inédit qui, même sur le très court terme, illustre à la fois la très grande vulnérabilité et le potentiel de transformation majeur d'une telle crise. Même les pays qui n'auraient pas choisi l'option du confinement ou qui pourraient émerger plus tôt de la vague, à l'image de l'Asie de l'Est, se retrouvent exposés aux conséquences de ce ralentissement sans précédent de la machine capitaliste et du repli national.

Si le virus révèle les failles mais aussi la résilience plus ou moins importantes de systèmes de santé fragilisés par l'ordre néolibéral dans les États-providence, il montre aussi que certains pays ont pris plus rapidement la mesure du choc qui allait être encaissé par l'économie réelle et ses acteurs. Le Congrès et la présidence des États-Unis n'ont pas tardé à réagir en annonçant le plus vaste plan de soutien jamais voté, l'équivalent de 2000 milliards de dollars ; l'Allemagne a promis la moitié de ce montant et le Danemark propose de garantir le paiement des salaires de tous les employés mis au chômage technique pendant trois mois. Les gouvernements et le patronat en appellent aux nationalisations pour sauver ce qui peut l'être. Les institutions internationales envisagent un gel des dettes des pays les plus défavorisés. Paradoxalement, certains des pays les plus touchés comme la France et l'Italie ne sont pas ceux qui ont réagi le plus fortement, pour l'instant. Par-delà ces plans nationaux, qui ne seront certainement pas suffisants pour endiguer le raz-de-marée, c'est l'investissement dans le secteur de la santé, notamment de l'hôpital, qui représente un changement majeur, face à un risque épidémique qui n'épargne personne, pas même les puissants.

Le corollaire essentiel que l'on peut envisager est la mise entre parenthèse d'un dogme d'austérité budgétaire en matière d'investissement dans le secteur public, la protection des salariés, mais aussi des professions indépendantes, des chômeurs ou bien pour la garantie des prêts. Or contrairement à la crise de 2008, on peut faire l'hypothèse qu'il sera beaucoup moins facile de revenir au business as usual. D'une part, les causes de la crise risquent de prévaloir un certain temps, le virus ne disparaîtra pas partout aussi vite, il ne sera pas nécessairement éradiqué et l'on devra donc se prémunir contre une résurgence de ce type, au plan économique et social aussi bien que sanitaire ; d'autre part, les gouvernements auront démontré qu'ils peuvent mettre en place dans l'urgence des dispositifs de très grande ampleur pour tenter de juguler une récession trop massive, elle-même engendrée par un confinement qui vise à limiter les pertes humaines plutôt qu'à mitiger les effets économiques.

Le dernier élément, et non le moindre, réside dans les stratégies nationales ou coopératives qui pourraient être choisies afin de réorienter un modèle économique mondialisé et néolibéral dont les fondements auront été durement éprouvés à deux reprises en une dizaine d'années et dont la soutenabilité est profondément critiquée. Le symbole actuel de l'arrêt quasi-total des circulations polluantes, routières ou aériennes, le télétravail forcé, la limitation de la consommation à l'essentiel, l'obligation de prendre soin des personnes fragiles ou la nécessité de réfléchir aux approvisionnements locaux dans un monde cloisonné invitent à faire de cette crise une opportunité, par-delà les stratégies nationales égoïstes. Cela vaut aussi face aux inégalités immenses en matière de réponse sanitaire et économique des gouvernements à une pandémie et au confinement de populations. De nombreuses prises de position à ce sujet ont vu le jour ces dernières semaines, qui mettent en avant – par exemple – le canevas existant d'un « Green New Deal » encore bien peu soutenu à l'échelle européenne. Les élections présidentielles aux États-Unis, qui devraient avoir lieu cette année, pourraient aussi être un catalyseur de changement, l'épidémie offrant une résonance nouvelle aux projets de réforme de la santé ou de protection de l'environnement véhiculées au début de la campagne démocrate, quand bien même leur promoteur ne semble plus être favori dans la course à l'investiture.

Dans cet horizon de grande incertitude, où le politique est soumis aux lois de l'urgence et de l'exception, il importe de sortir d'une stratégie uniquement court-termiste visant à préserver un ordre ancien qui va se trouver particulièrement affaibli. Quant aux sciences économiques et sociales, mais aussi épidémiologiques et médicales, elles ont devant elles un programme de travail considérable pour analyser cette crise mondiale et ses implications inédites pour les sociétés contemporaines.

Source : https://www.ehess.fr/fr/carnet/implications-d-crise-mondiale-in%C3%A9dite




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